Capucine avait une beauté que l’on aurait crue sculptée dans les marbres du paradis par Michel Ange soi-même. Les superlatifs ne manquèrent pas aux heures les plus prestigieuses de sa gloire « La Fille la plus photographiée du monde », « Le Nouveau Sphinx », « La Belle aux yeux d’Antilope », « The new French Look » Elle aurait pu devenir la plus fantastique superstar de la planète… si elle en avait eu le cœur et l’envie.
C’est à Saint Raphael dans le Var et non dans la boisson apéritive que naît Germaine Hélène Irène Lefèbvre, le 6 Janvier 1928.
Dès sa plus petite enfance, elle se rêvera actrice et détestera toujours cette légende qui fait d’elle un mannequin de haut vol accaparée par le cinéma, un peu par hasard et un peu contre sa volonté. C’est en réalité le contraire. Elle est une actrice littéralement capturée par la mode. D’ailleurs aux premières heures de sa notoriété de mannequin elle garde chevillée au coeur la fierté d’avoir été Jeanne d’Arc à six ans et sans se tromper. Un temps installée à Toulon, elle suit tous les cours d’art dramatique possibles et imaginables. Ceux -là même que suivra un peu plus tard la future Mireille Darc. Pour se nourrir elle fait de la figuration et manque un jour la chance qui lui file sous le nez. Elle est au beau milieu d’un troupeau de figurantes lorsque surgit Clouzot en personne. Il a besoin d’une fille. Il la désigne du doigt « Celle-là! » Elle le suit dans son bureau, elle doit montrer ses jambes devant toute l’équipe. Elle n’ose pas, Clouzot la remballe « Vous êtes vraiment trop godiche! » Retour au troupeau.
Pour se consoler et manger à peu près correctement, elle embarque sur les navires de croisière. Elle défile en robes de haute couture, une petite danseuse se trémousse et joue du tambour. Elles se partages une cabine minuscule, elle s’appelle Brigitte Bardot.
Etudiante à Saumur, Germaine souhaite s’inscrire aux beaux arts. Elle gagne Paris, cherche un petit boulot pour survivre et devient mannequin haute couture, ce qui avec une telle beauté ne pouvait manquer d’arriver.
Le métier de mannequin en ces années 40 n’a strictement aucun prestige. Germaine qui devient Capucine pour faire plus « Collection Printemps-Été », doit partager une chambrette avec une autre maigritude pour robes de soir nommée Audrey Hepburn. Le plus grand exploits des mannequins de l’époque c’est de savoir garder bonne mine et taille de guêpe en dormant dans des soupentes non chauffées et en se nourrissant de cornets de frites! Celles qui plus tard ne sortiront pas de leur lit à moins de 100.000$ ne sont pas encore nées, leurs parents non plus!
Capucine fait aussi quelques figurations, traînant sa longiligne silhouette désabusée le long d’une table de banquet dans « L’Aigle à Deux Têtes » et j’espère pour elle que les poulets rôtis n’étaient pas en carton. Elle sera aussi dans « Rendez vous de Juillet » où elle rencontre le jeune acteur Pierre Trabaud de huit ans son aîné qu’elle épouse pour…Quelques mois. Elle devient pour l’état civil madame Wolf, véritable nom de Pierre Trabaud. Monsieur Trabaud ne deviendra jamais le jeune premier à la mode qu’il rêvait d’être ni même un acteur célèbre, mais remercions le quand même d’avoir été les voix de Popeye et Donald Duck!
De passage à New-York pour défiler en Balmain ou Dior, elle est repérée par un talent scout au service de David Selznick. Ce sera sa deuxième opportunité loupée. Elle est choisie pour un petit rôle et accepte de devenir Lilly Capucine. Elle aurait accepté de devenir Donald Duck. Sur le plateau elle se fait subitement attraper par le bras et se fait fiche dehors. Le réalisateur appelait Lilly sur le plateau à s’en exploser la glotte et Capucine ne levait pas un cil, oubliant complètement qu’elle était celle Lilly. Avec son physique et sa grâce hautaine d’altesse impériale, son attitude passa pour un snobisme inacceptable et elle fut priée d’aller jouer les reines de beauté inaccessibles ailleurs. Tout juste si elle ne prit pas un coup de pied aux fesses!
Il y aura encore un autre homme providentiel et cette troisième fois fut la bonne. C’est le producteur Charles Feldman qui cette fois la repère et lui signe un contrat chez Famous Artist. La belle baragouine un franglais assez incompréhensible. Il la confie à la célèbre Gertrude Vogler pour faire d’elle une anglophone parfaite sans une once d’accent. Elle travaille son phrasé, étudie l’art dramatique et ne tourne rien. Feldman attend qu’elle « soit prête ». Ca va durer deux ans et demi. Mais deux ans et demi où il l’a emmenée partout et présentée à tout le monde.
Capucine va traverser toute la décennie des années 50 avec un très étrange statut: celui d’actrice de cinéma alors qu’elle ne tourne aucun rôle digne de ce nom et qui de plus est dans des films dont le plus remarquable est peut-être « Frou-Frou » c’est dire où on nage! D’autant que la dame ne consent à se montrer que…Quatre fois en dix ans! Elle a également endossé le titre de « fiancée de Dirk Bogarde ». Une idylle purement publicitaire.
On voit beaucoup ce couple de « grands amoureux » s’afficher ensemble, sans doute pour confondre les rumeurs d’homosexualité qui déjà entachent le blason de jeune premier romantique et le plus British des acteurs du moment. Dans les années 50, même si l’homosexualité se sait, elle ne se dit pas. Celle de Dirk Bogarde étant le secret de polichinelle, le couple Bogarde et Capucine étant malgré tout convainquant, on en déduisit que Capucine était donc une homosexuelle elle aussi et que ces deux là s’étaient associés pour donner le change. Puis on trouva mieux, on décréta que Capucine était un homme! Les rumeurs allèrent bon train. Les deux principaux concernés n’estimant pas que l’homosexualité implique que l’on doive se défendre comme si c’était une insurmontable tare ignominieuse justifiant le sombre cachot et la mise au secret des pervers atteints de ce mal diabolique, ils ne commentèrent pas.
Un jour des photos de Capucine paraissent. Elle se promène dans un jardin et tient pr la main…Greta Garbo soi-même. C’est de nouveau la grande affaire de la presse à scandale. « C’est ridicule, j’aidais Greta à franchir un obstacle »
Il fallait alors, on le comprendra, nettoyer une société de ses pervers qui, chose faite pourrait ainsi aller voir en famille au cinéma Jean Marais sauter dans les rideaux avec son brushing de Catherine Deneuve ou applaudir Charles Trenet à l’Alhambra! Le monde me dit on a bien changé, je l’espère mais Dirk et Capucine ne sont plus là pour s’en réjouir.
C’est Dirk Bogarde, sans doute en remerciement des services rendus qui impose l’actrice à ses côtés dans « A Song Without End » où il incarne Franz List. L’Amérique subjuguée découvre cette froide beauté d’albâtre au visage mangé par ses grands yeux gris d’orage et fait de Capucine l’archétype de l’élégance française. Capucine tourne alors de nombreux films, de grosses productions pour de grands noms avec de prestigieux partenaires et devient même l’épouse nymphomane de l’inspecteur Clouseau dans « La Panthère Rose ».
Capucine elle-même racontait volontiers ses débuts au cinéma. « Je m’ennuyais à Paris, une amie m’a écrit de New-York en me proposant de venir y tenter ma chance. En temps normal je n’aurais pas réagi mais comme ce courrier est arrivé à Noël j’y ai vu un signe et comme il me restait de quoi m’offrir un ticket de première dans le prochain Super Constellation pour New-York, je me suis envolée! » De New-York, elle prit un autre avion pour Hollywood où on ne lui demandait que d’être belle. Elle leur a répondu qu’elle était une toulonnaise avec des ancêtres grecs et que cela donne un mélange plutôt travailleur. Que d’ailleurs elle était déjà une actrice puisqu’elle avait tenu un petit rôle dans « Les Branquignols » de Robert Dhéry! Ce à quoi ils lui ont répondu à leur tour « Très bien, mademoiselle, apprenez à vous exprimer en américain et nous verrons! » Et Capucine de s’écrier « Quoi? Apprendre l’anglais? Mais je suis toulonnaise! C’est incompatible! » Elle y arriva, pourtant. « Un supplice » selon elle.
Mais Capucine semble indifférente à toute cette gloire qui va fondre sur ses altières épaules comme une pluie de diamants. Si comme Greta Garbo et Ava Gardner elle secoue son distingué mépris sur sa renommée d’actrice, contrairement aux deux autres, elle ne fait rien pour briller et justifier l’admiration d’un public ébloui, ni même pour que la gloire perdure. Elle semble au contraire toujours attendre que cela passe, comme un mauvais rhume. Pourtant, en 1962, alors qu’elle tourne « Walk on the Wild Side », son partenaire Laurence Harvey se déclare « exaspéré par cette Capucine qui ne sait rien faire et surtout pas jouer la comédie! » La belle indifférente se vexe et boude dans sa loge…15 jours durant! Tête d’Anne Baxter qui comptait sur un tournage rapide pour ne pas que sa grossesse se voie à l’écran. Elle a failli accoucher sur le plateau!
Edward Dmytryk, par contre, ne tarit pas d’éloge sur sa vedette allant jusqu’à déclarer « Jane Fonda est si mauvaise que personne ne songera à critiquer Capucine! » Du coup Jane ne boude pas, elle s’empiffre! Au cours d’une scène où Barbara Stanwyck la gifle, Capucine prend la baffe, tourne sur elle-même en faisant voltiger sa mise en plis comme dans un ralenti de pub pour shampoing puis s’effondre très délicatement sur un sofa après un petit jerk charmant et en prenant bien soin de ne pas froisser la jupe de son tailleur. Si on ne visionne pas la gifle mais seulement la chute on dirait une princesse faisant une révérence et perdant l’équilibre à cause d’un courant d’air soudain! C’est à peine si elle ne tapote pas un coussin pour s’effondrer plus confortablement.
Malgré sa distribution très haute en couleur et son sujet pour le moins scabreux, on est quand même dans une maison de passe, le film fera un flop colossal.
Mais malgré es anecdotes croustillantes, Cette femme a la beauté sublime a un souci qui lui pourrit la vie et l’empêche à la fois de savourer son existence et accéder à la gloire qui ne demande qu’à lui tendre les bras. Capucine est maniaco dépressive. Rarement joyeuse elle a de terribles moments d’abattement où la mort lui semble d’un intérêt plus grand que cette vie où il faut bien le dire elle s’ennuie. Devenue célèbre à plus de 30 ans, elle a le même souci que Rita Hayworth. Des cernes très sombres. Elle se contraint à porter des lunettes noires à la ville et accepte la mort dans l’âme que toutes ses photos professionnelles soient retouchées.
Puis soudain elle surgit hilare entre Dean Martin et Frank Sinatra, s’amuse avec Jack Lemmon ou Tony Curtis qui la considèrent à l’unanimité comme la fille la plus drôle d’Hollywood!
Pourtant, la belle solitaire n’a que peu d’amis à part Dirk Bogarde et Audrey Hepburn la tendre amie des débuts. C’est d’ailleurs pour se rapprocher d’Audrey que Capucine s’établira à son tour en Suisse, à Lausanne. Cette installation au bord du lac avec vue sur les Alpes fit encore beaucoup jaser. Capucine avait eu une liaison très médiatisée avec William Holden et elle devenait presque sa voisine.
Dans les années 60 elle a donc une liaison avec William Holden, ex amour d’Audrey et notoirement marié à Brenda Marshall. Brenda qui n’entend pas se laisser faire et qui clame son indignation de femme outragée dans la presse. Réaction désabusée de Capucine: « Brenda Marshall est outrée et je la comprend, William est son mari et elle n’a pas envie de le lâcher! C’est normal, il est vraiment très bien! » Au milieu des années 60, la liaison avec William Holden se termine, Capucine s’installe donc en Suisse, tourne pour le cinéma européen, essentiellement en Italie où Fellini la sollicite pour son « Satyrion ».
Elle mène alors une véritable vie de superstar internationale. Elle passe trois mois sur six chez elle dans son appartement de Lausanne. Puis elle s’envole et retrouve ses « points de chute professionnels ». L’Hôtel Lancaster à Paris, le Saint Régis à New-York, le Beverly Hills hotel à Hollywood, le Grand Hôtel à Rome. Chaque fois la presse annonce son arrivée avec des dizaines de valises. Elle en a en général trois mais très lourdes. Forcément, elles sont pleines de livres!
Elle reste active durant toute les seventies, devient également très présente à la télévision et sa classe inouïe compense allègrement les quelques infimes outrages que provoque le passage du temps sur cette beauté miraculeuse. Elle semble sereine et ne rechigne pas à jouer les élégantes idiotes dans une grand-guignolade taillée sur mesures pour Bébel. Pourquoi pas?
Capucine semble s’accommode fort bien du temps qui passe, paraît sereine jusqu’à ce funeste 17 Mars 1990 où l’actrice se jette dans le vide depuis les fenêtres de son huitième étage. La plus parfaite beauté de sa génération se fracassait sur un trottoir avant de s’éteindre à jamais. Avant de se faner.
Ce jour là son petit ange Audrey n’était pas avec elle pour convaincre son amie qui voulait tant mourir de vivre encore un peu. Capucine venait à peine de fêter ses 62 ans
Celine Colassin
QUE VOIR?
1948: L’Aigle a Deux Têtes: Avec Edwige Feuillère et Jean Marais
1949: Rendez-vous de Juillet: Avec Brigitte Auber et Daniel Gelin
1949: Mon Ami Sainfoin: Avec Sophie Desmarets, Louis de Funès et Pierre Blanchar
1955: Froufrou: Avec Dany Robin et Louis de Funès
1960: Song Without End: Avec Dirk Bogarde et Geneviève Page
1960: What’s New Pussycat: Avec Peter Sellers, Romy Schneider et Peter O’Toole
1960: Le Grand Sam (A Nous la Bagarre) Avec John Wayne et Stewart Granger
1962: Walk on the Wild Side: Avec Jane Fonda et Barbara Stanwyck
1963: La Panthère Rose: Avec Peter Sellers
1964: La Septième Aube: Avec William Holden et Susannah York
1965: Jackpot: Avec Charlotte Rampling et Richard Burton
1967: Les Ogresses: Avec Claudia Cardinale, Raquel Welch et Monica Vitti
1969: Fräulein Doktor: Avec Suzy Kendall
1969: Las Crueles: Avec Judy Matheson
1969: Fellini Stayricon: Avec Martin Potter et Hiram Keller
1971: Soleil Rouge: vec Alain Delon, Charles Bronson et Ursula Andress
1975: From Hell to Victory: Avec George Peppard, George Hamilton et Horst Bucholz
1975: L’Incorrigible: Avec Jean-Paul Belmondo
1977: Ecco noi per esempio… Avec Barbara Bach et Adriano Celentano
1979: De l’enfer à la victoire: Avec Anny Duperey, George Peppard et Jean-Pierre Cassel
1982: Aphrodite: Avec Valerie Kaprisky et Horst Bucholz
1987: Le foto di Gioia (Delirium): Avec Serena Grandi
1988: Pygmalion 88 Avec Domiziano Arcangeli