Beulah Bondi est une incontournable des seconds rôles hollywoodiens à qui il convient d’ouvrir ces pages. Peut-être même y a-il longtemps que cela aurait dû être fait. Que puis je plaider pour ma défense? Que l’absolue discrétion dont fit preuve toute sa vie durant miss Beulah Bondi, la grande prêtresse du second rôle me prive de matière a faire un article vraiment digne. Non de sa gloire, mais de sa réputation. Durant toute sa carrière, miss Bondi arriva au studios, connaissant son texte sur le bout des doigts. Dès que les habilleuses, les coiffeurs et les maquilleurs la libéraient, elle arrivait sur le plateau, souvent pour y être la mère de James Stewart, jouait ses scènes, donnait le meilleur d’elle-même. Puis, son travail de la journée terminé, elle faisait le trajet dans l’autre sens, repassant par les mains des habilleuses des coiffeurs et des maquilleurs pour défaire ce qui avait été fait. Puis elle rentrait chez, elle, du moins le présume-on. Elle rentrait dans son mystère. Miss Beulah Bondi n’était pas mariée, elle ne le sera jamais. elle n’avait pas d’enfants, elle n’en aura jamais. On ne lui connait ni scandale ni péché mignon. Tout ce qu’il faut savoir de miss Bondi est là, semble-il. Sur l’écran!
Le 3 Mai 1888 Beulah Bondy naît à Valparaiso. Valparaiso Indiana, pas Valparaiso Chili. Elle n’a que huit ans lorsqu’elle se risque sur la scène pour la première fois dans le rôle du petit Lord Fauntleroy. Rôle de petit garçon, certes mais souvent confié à des petites filles telle Mary Pickford. Le petit lord est délicat! Il y a plusieurs années qu’elle se taille un joli succès personnel à Broadway lorsqu’elle est invitée à Hollywood en 1931.
Non parce qu’elle défraie la chronique, non parce que sa beauté fait tourner les têtes les plus solidement vissées, non parce qu’elle connaît des triomphes personnels inouïs. Simplement, parce que la pièce où elle se produit vient d’être rachetée avec toute sa distribution pour être portée à l’écran. La méthode peut nous sembler bien étrange. mais en 1931, elle est on ne peut plus normale. le cinéma vient de se mettre à parler, quelques unes des plus somptueuses stars de l’écran se sont faites excommunier par le micro. On manque de personnel! Hollywood regorge d’acteurs et de beautés sublimes, pas de comédiens et de voix bien placées.
Or le paradoxe est que le parlant a privé Hollywood de bon nombre d’acteurs mais le public en revanche se presse comme jamais aux portes des cinémas pour « entendre ». En bref il faut faire plus de films avec moins de gens! Ajoutons à cela que les sujets en préparation étaient destinés à être montrés, pas à être entendus! Donc on ne manquait pas que d’acteurs, on manquait de rôles adaptés à la nouvelle technique révolutionnaire et passionnante qu’était le son. Alors si à Broadway il y a des pièces intéressantes à dire et une distribution d’acteurs connaissant leurs rôles sur le bout des doigts, Hollywood achète le tout! Voici donc Beulah faisant partie du lot!
Elle arrive à Hollywood dans une indifférence complète pour « Street Scenes ». On a, comme on l’a vu bien d’autres chats à fouetter, et puis Beulah a 42 ans! Voici donc Beulah sous contrat, ce n’est pas plus mal, on a toujours besoin d’actrices pouvant jouer les gentilles mamans ou les vielles villes revêches ou doucement cinglées!
Hollywood ne pouvait pas alors imaginer ce qui l’attendait! Le public allait s’enticher de Beulah et la réclamer! Bientôt les plus prestigieux metteurs en scène ne jureront plus que par elle et la réclameront dès qu’ils le pourront. Parmi eux, King Vidor, le premier à l’avoir dirigée au cinéma. Mais aussi Clarence Brown, William Wyler et Frank Capra. Ni Marlène Dietrich ni Greta Garbo ne peuvent en dire autant. Plus tard ce sera au tour d’Anthony Mann.
Elle devient la maman officielle de James Stewart au cinéma, elle le sera quatre fois. Non parce que l’acteur l’exige mais parce que le public ne tolérerait pas que l’on distribue le rôle à une autre actrice! Elle fera également beaucoup d’usage à Joan Crawford, Barbara Stanwyck, Sylvia Sydney, Fred McMurray et Debbie Reynolds! Il faut dire que Beulah excelle dans les rôles bienveillants dont le plus bel exemple est peut-être sa directrice d’orphelinat préposée aux adoptions dans « Penny Sérénade » avec Cary Grant et Irène Dunne.
Lorsque l’Amérique entre en guerre et qu’Hollywood dans son élan patriotique enquête pour savoir quelles actrices les valeureux soldats ont envie de voir à l’écran durant leurs permissions, le nom de Beulah Bondi, a la stupéfaction générale viendra s’aligner au côté des noms de Betty Grable, Alice Faye, Ginger Rogers, Carole Landis, Veronica Lake, Lana Turner et Rita Hayworth! Il va bien falloir l’admettre, le public adore Beulah Bondi et il va falloir lui confier de bons rôles, des rôles plus importants. Si Mary Pickford avait été la petite fiancée de l’Amérique pendant la guerre 14-18, Beulah Bondi sera la maman chérie de l’Amérique pendant la guerre suivante!
Elle est plus que cela encore, elle est le visage de la famille américaine et des valeurs de la nation. Beulah Bondi est le visage du patriotisme. Ne va-on pas lui confier un premier rôle dans un film taillé sur mesures intitulé « Le Capitaine est une dame »? Succès qui aura des suites telles que »Elle aussi, c’est un soldat! » C’est une prouesse étourdissante si on se souvient que Beulah est venue à Hollywood parce que l’on s’intéressait à la pièce qu’elle jouait et non à elle! Les scènes qu’elle avait jouées dans « The Painted Veil » avec Greta Garbo avaient été coupées sans scrupules. Hollywood ne s’aviserait plus jamais de commettre un tel sacrilège! Les années 40 furent définitivement ses années les plus prospères… Du moins au cinéma!
Car dès 1950, Beulah s’intéresse de très près à la télévision. Et la télévision, il va s’en dire s’intéresse encore plus à elle. Elle est déjà follement aimée du public, maintenant qu’on peut la recevoir dans son salon par le biais du petit écran elle est littéralement idolâtrée! Elle s’amuse donc à revenir de temps à autre au cinéma, sans doute pour des raisons de prestige lorsque John Farrow ou Delmer Dave la supplient. Après avoir tourné avec Garbo, avec Crawford, elle découvre Lana Turner avant Diana Dors et Debbie Reynolds!
En 1961 elle fête ses 30 ans de carrière et le nombre de ses films devenus des classiques donne le tournis à tout cinéphile digne de ce nom! Beulah se résous à ralentir le rythme à un film par an, il faut dire qu’elle a allègrement dépassé le cap des soixante dix ans! Mais si elle s’éloigne peu à peu du grand écran, tirant sa révérence définitive en 1963, elle tourne avec allégresse pour la télévision jusqu’en 1976…Elle a 87 ans!
Elle tournerait peut-être encore avec autant d’enthousiasme à 120 ans passé si elle n’avait pas été victime de l’accident le plus bête qui soit! En Janvier 1981, elle trébuche sur son chat dans sa cuisine. la chute est brutale, elle a des côtes cassées et un poumon perforé. C’est ce qui cause sa fin le 11 Janvier 1981 à l’âge de 91 ans bien tassés. Beulah qui avait toujours été d’une discrétion absolue sur sa vie privée entendait bien qu’il en reste ainsi après sa mort. Ni hommages, ni fleurs ni couronnes, elle ne voulut même pas de tombe et ses cendres furent dispersées dans le Pacifique comme elle l’avait exigé dans ses dernières volontés.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1931: Street Scène: Avec Sylvia Sydney et Estelle Taylor
1932: Rain: Avec Joan Crawford
1934: The Painted Veil: Avec Greta Garbo, George Brent et Herbert Marshall
1934: Finishing School: Avec Frances Dee, Ginger Rogers et Billie Burke
1934: Ready for Love: Avec Ida Lupino et Richard Arlen
1935: The Good Fairy: Avec Margaret Sullavan et Herbert Marshall
1936: The Gorgeous Hussy: Avec Joan Crawford, Robert Taylor et Lionel Barrymore
1936:The Trail of the Lonesome Pine: Avec Sylvia Sydney, Henri Fonda et Fred McMurray
1936: The Moon’s Our Home: Avec Margaret Sullavan et Henri Fonda
1937: Make Way for Tomorrow: Avec Fay Bainter
1938: The Buccaneer: Avec Franciska Gaal, Fredric March et Margot Grahame
1939: Mr Smith Goes to Washington: Avec James Stewart et Jean Arthur
1940: Remember the Night: Avec Barbara Stanwyck et Fred McMurray
1940: The Capitain is a Lady: Avec Virginia Grey et Charles Coburn
1941: Penny sérénade: Avec Irène Dunne et Cary Grant
1941:The Shepherd of the Hills: Avec Betty Field et John Wayne
1943: Tonight we Raid Calais avec Annabella et John Sutton
1944: She’s a Soldier Too : Avec Nina Foch
1944: I Love a Soldier: Avec Paulette Goddard et Sonny Tuft
1944: Our Hearts Where Young and Gay: Avec Diana Lynn, Gail Russell et Dorothy Gish
1944: The Very Thought of You: Avec Eleanor Parker
1944: And Now, Tomorrow: Avec Loretta Young, Susan Hayward et Alan Ladd
1945: The Southerener : Avec Betty Field et Zachary Scott
1946: It’s A Wonderful Life: Avec James Stewart et Donna Reed
1946: Sister Kenny: Avec Rosalind Russell
1947: High Conquest: Avec Anna Lee et Gilbert Roland
1948: The Snake Pit: Avec Olivia de Havilland
1949: The Life of Riley: Avec Rosemary DeCamp et William Bendix
1950: The Furies: Avec Barbara Stanwyck
1952: Lone Star: Avec Ava Gardner et Clark Gable
1953: Latin Lovers: Avec Lana Turner et Ricardo Montalban
1954: Track of the Cat: Avec Robert Mitchum, Tab Hunter, Diana Lynn et Teresa Wright
1956: Back From Eternity: Avec Anita Ekberg et Robert Ryan
1957: The Unholy Wife: Avec Diana Dors et Rod Steiger
1959: A Summer Place: Avec Sandra Dee et Dorothy McGuire
1959: The Big Fischerman: Avec Susan Kohner, Martha Hyer et Howard Keel
1961: Tammy, Tell me True: Avec Sandra Dee et John Gavin
1962: The Wonderful World of the Brothers Grimm: Avec Claire Bloom et Laurence Harvey
1963: Tammy and the Doctor: Avec Sandra Dee et Peter Fonda