Betsy Drake laissera dans les mémoires des cinéphiles et autres amateurs de sulfureuses arrières cuisines hollywoodiennes un souvenir fort injuste. Elle restera pour la plupart de ceux qui se souviennent de son existence, la « fausse épouse » de Cary Grant servant de paravent à une homosexualité incompatible avec le statut de l’acteur. C’est particulièrement injuste car si l’attirance de Cary Grant pour les messieurs n’est plus aujourd’hui un secret pour personne et moins encore un motif de scandale, il n’en a pas moins vécu de solides passions amoureuses avec des personnes du sexe opposé. Il était d’ailleurs d’une possessivité et d’une jalousie assez rares pour un monsieur dont les relations amoureuses avec ces dames n’auraient été que de façade. Les souvenirs encore vifs de Sophia Loren ou Dyan Cannon ne laissent aucun doute à ce propos.
Oui, n’en déplaise, Betsy Drake et Cary Grant furent réellement mariés. Une union longue de douze années, seulement mise à mal par une fournaise italienne, à savoir Sophia Loren.
Betsy Drake, la future épouse controversée du plus grand acteur de son époque naît paradoxalement en France. Le 11 Septembre 1923 à Neuilly sur Seine, précisément. Sa famille a trouvé refuge en France après la faillite du Drake Hôtel de Chicago.
En 1930, la famille Drake rentrera en Amérique pour s’installer à Washington.
Les Drake sont peu fortunés et si la jeune Betsy est autorisée à suivre des cours d’art dramatique, c’est à ses frais. Elle devra travailler comme standardiste ou dactylo pour se les offrir. Plus tard elle deviendra brièvement mannequin. Une carrière où elle connaît un certain succès et sa photo en couverture des magazines lui ouvre quelques portes.
Son destin va basculer là où sa carrière débute.
Nous sommes en 1947. Betsy a connu son premier succès à la scène en Angleterre avec la pièce « Deep are the Roots ». Cary qui séjourne régulièrement à Londres dans l’espoir d’enfin nouer une vraie relation avec sa mère l’a vue au théâtre et l’a trouvée aussi charmante que bonne comédienne.
L’acteur regagne l’Amérique par bateau et c’est Merle Oberon voyageant sur le même transatlantique que Cary et Betsy qui les présente, cupidon involontaire, l’un à l’autre. Un coup de foudre, déclareront les intéressés. Et puisque Betsy rentrait en Amérique un peu dépitée de devoir reprendre ses activités de mannequin dont elle avait soupé, Cary intercéda auprès de son studio, la RKO qui n’avait rien à refuser à sa plus grande star.
Betsy eut donc un contrat en bonne et due forme et le studio flairant la bonne affaire fit d’eux des partenaires à l’écran comme ils l’étaient déjà dans la vie. Ils convolèrent en « justes noces » le jour de Noël 1949. C’était le troisième mariage de l’heureux époux, la jeune mariée ayant presque 18 ans de moins que lui. Ils seront encore partenaires à l’écran mais étrangement l’alchimie du couple ne fonctionne pas à l’image, ce qui appuiera les théories complotistes, et les films qu’ils interpréteront ensemble resteront mineurs dans la carrière de Cary.
Mais c’est que le couple est un couple assez « popote » dans sa vie conjugale. Cary ne va pas aider Besty à travailler ses rôles, il va lui apprendre à cuisiner. Elle n’intervient pas non plus dans ses choix. Ils aiment lire, voyager, projeter des films qu’ils se font prêter par les studios pour ne pas aller les voir en salles. Ils n’assistent pas aux premières, Cary Grant n’est allé à aucune première de ses films tant le trac le terrasse. Alors, quand ils se retrouvent à l’écran, ils semblent reprendre sous nos yeux indiscrets leur vie conjugale simple et sans heurts. Aucun n’essaie de briller, ils donnent des interprétations que je qualifierais de paisibles.
Le tumulte viendra d’ailleurs. Betsy depuis un petit temps est également scénariste. Elle écrit pour la radio des histoires qu’elle interprète avec son cher mari et avec un certain succès. Assez dépitée par les rôles qu’on lui propose au cinéma, elle travaille à un scénario qu’elle écrit pour Cary et elle. Un scénario qui lui permettra de briller et donner sa pleine mesure.
En attendant, elle a accompagné Cary en Espagne où il tourne « The Pride and the Passion » avec Frank Sinatra et Cary Grant. Betsy vient de jouer les seconds rôles dans un film de Jayne Mansfield pour la Century Fox, le voyage lui fera le plus grand bien.
Mais sur le plateau, Cary Grant se prend de passion pour Sophia Loren. Leur liaison est impossible à cacher. Humiliée, Betsy rentre chez elle.
Elle embarque sur l’Andrea Doria où voyage également le petit garçon de l’actrice Ruth Roman avec sa nurse. On connaît la suite. Le 25 juillet 1956, l’Andrea Doria entre en collision avec le paquebot Stockholm au large de New-York. L’Andrea Doria sombrera corps et bien à l’aube du 26 juillet. La catastrophe rappelle étrangement celle du Titanic car la collision a rendu inutilisables la moitié des canots de sauvetages. La rapidité de secours et aussi il faut le dire, la proximité relative des côtes permettra de sauver tous les passagers et les membres d’équipage qui ont survécu à la collision. Betsy et le petit garçon de Ruth Roman seront sauvés eux aussi. La catastrophe de l’Andrea Doria sera une des dernières du genre, les liaisons aériennes vont bientôt porter le coup fatal aux liaisons maritimes.
Betsy Drake, complètement traumatisée par la catastrophe entrera en psychanalyse et sera traitée au LSD pour surmonter ses angoisses.
Mais le destin n’en a pas fini de lui jouer des sales tours. Le tournage terminé en Espagne, Cary Grant n’a qu’une idée en tête : Sophia.
L’acteur est à la recherche d’un projet qui pourrait le réunir à la belle italienne. Or, un projet il y en a un tout prêt ! Le scénario qu’a écrit Betsy. Grant est une superstar, il n’a aucun mal à convaincre la Century Fox de monter le film avec lui et Sophia. Il suffit simplement de le retailler aux mesures pour que le rôle que Betsy se réservai aille comme un gant à Sophia.
Betsy se sentira humiliée, trahie bafouée. Mais il y a le LSD qui arrondit magnifiquement les angles.
Elle refusera de voir son nom apparaître au générique, elle refusera le second rôle féminin qui ira à Martha Hyer mais ne réduira pas Cary Grant en charpie.
Le tournage sera un enfer. Grant harcèle littéralement Sophia Loren qui, plusieurs fois, doit se débattre devant les caméras pour se dépêtrer de Cary Grant avant de quitter le plateau. Elle appellera Carlo Ponti à son secours mais rien n’y fera. Grant ne renoncera pas à Sophia. Il en sera pour ses frais et finira le tournage complètement désespéré.
Betsy, bonne fille relativement peu rancunière l’initiera aux bienfaits du LSD. Le couple ne survivra que peu au tumulte Sophia Loren et à la catastrophe Andrea Doria. LSD ou pas.
S’ils divorcent en 1962, ils sont séparés depuis 1958. Ils clament rester bons amis mais c’est une amitié au prix fort ! Betsy réclame (et obtient) un million de dollars et 10% sur les gains de Cary Grant durant leur mariage. L’acteur dont la pingrerie est aussi illustre que le talent digérera assez mal cette notion de bonne amitié.
Après la séparation de 1958, Betsy fera un tout petit peu de télévision et apparaîtra une ultime fois à l’écran en 1965 dans « Clarence le lion qui louche ».
Devenue écrivaine, devenue psychothérapeute, Betsy Drake s’éteint en Angleterre, là où tout avait véritablement commencé le 27 Octobre 2015. Un peu plus d’un mois après avoir fêté ses 92 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1948 : Every Girl Should Be Married : Avec Cary Grant et Franchot Tone
1949 : Dancing in the Dark : Avec William Powell
1950 : The Second Woman : Avec Robert Young
1950 : Pretty Baby : Avec Dennis Morgan et Zachary Scott
1952 : Room for One More : Avec Cary Grant
1957 : Will Success Spoil Rock Hunter ? Avec Jayne Mansfield et Tony Randall
1958 : Next to No Time : Avec Kenneth Moore
1958 : Intent to Kill : Avec Richard Todd
1965 : Clarence, the Cross-Eyed Lion : Avec Marshall Thompson