Bessie Love est une actrice qui aura été spectaculairement ballottée par tous les changements profonds qui ont jalonné sa vie et l’industrie du cinéma tout au long de son parcours. Elle semble emportée dans le tumulte d’une succession d’événements dont elle serait le délicieux jouet et s’y adaptant du mieux qu’elle peut.
Bessie Love naît à Midland au Texas le 10 septembre 1898 sous le patronyme de Juanita Horton .
Déjà son destin prend son départ dans une société en pleine mutation qui ne sera bientôt plus qu’un folklore nostalgique. Son père John est un cow-boy et lorsqu’il ne chevauche pas les vastes plaines herbeuses où pas un puits de pétrole n’a encore poussé, il est barman.
Mais la haute époque des ranch et des colt touche irrémédiablement à sa fin. La famille Horton quittera le Texas pour l’Arizona puis la Californie où son père s’installe très curieusement comme chiropraticien. Le changement est radical et ce n’est pas le seul. C’est à Hollywood en Californie que la famille s’est installée. Pas question encore de cité du cinéma. Hollywood est une paisible région maraîchère au climat idéal pour ses agrumes qui en font la réputation.
Mais les temps restent durs et Emma Jane, la maman de Juanita devient ouvrière dans une usine de confection de maillots de bains. Chose résolument nouvelle, elle aussi et dont au parle beaucoup. La longueur de jambe découverte fait l’objet d’une loi très stricte. La police patrouillera les plages jusqu’au début des années 30 pour mesurer la longueur de jambe dénudée et les contrevenantes se retrouvent dans le panier à salade aussi sec!
En 1915, Juanita a 17 ans, elle est lycéenne et tout, une fois encore a complètement changé! Hollywood a vu les studios de cinéma pousser comme des champignons. Littéralement pousser autour de la jeune Juanita!
Le cinéma fait courir le monde et le cow-boy Tom Mix fait courir Juanita! Elle en est folle! Sans doute ces premiers westerns lui rappellent-ils la petite enfance texane avant que papa ne troque les éperons pour la bouse blanche. En tout cas, elle est une des première « groupies »qui soient.
Et comme l’époque est différente, que le cinéma se cherche encore, une lycéenne peut parfaitement se pointer au studio et demander à voir son idole comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. A l’époque, de jolies filles viennent encore le matin voir si on a « besoin d’elles » pour se prendre une tarte à la crème en pleine poire ou se faire ligoter sur les rails de chemin de fer. Le but n’étant pas de jouer dans des films mais d’empocher 5$ à la fin de la journée.
Manque de bol ou coup de chance, Tom Mix n’est pas là! Mais Juanita rencontre D.W. Griffith. L’homme qui « invente » le cinéma.
Il la trouve plus que ravissante et le plus naturellement du monde lui propose de faire des films! Elle rentrera chez elle tout à fait épatée et avec un nouveau nom: « Bessie Love » « Love parce que tout le monde va t’aimer » lui prédit Griffith.
Nouveau changement! Sans qu’elle n’y soit pour rien, Juanita la lycéenne a fait place à Bessie Love l’actrice en une journée.
Le lendemain, elle tournait dans « Intolérance » le film fondateur du cinéma américain.
Quand le film sortira tout aura encore changé. Les studios engrangent des millions de dollars, le cinéma devient la première industrie du pays. Les studios sont gardés comme des banques suisses et il n’est plus question de venir voir le matin si on a besoin de vous! Les portiers et les gardiens seront bientôt armés!
Bessie, elle, a tourné neuf films en attendant la sortie d’Intolérance et elle est une star depuis le deuxième « The Flying Torpédo » Elle a même été la partenaire de Douglas Fairbanks, le numéro un absolu.
Mais la jeune star, elle a 20 ans, va de nouveau être ballottée. Cette fois d’un studio à l’autre. Elle signe avec les films français Pathé qui tentent de s’imposer à Hollywood quand Paramount envisage de s’installer à Paris.
Mais c’est l’échec. Pathé renonce, Bessie n’a plus de studio! Elle est récupérée par Vitagraph mais là aussi le studio est en déclin et les films ne sont pas projetés dans les cinémas de prestige qui appartiennent aux grands studios.
En 1921, elle choisit de rester indépendante et mandate un agent chargé de lui trouver des rôles de femme adulte. Jusqu’ici on l’a gardée dans un moule juvénile à la mode Mary Pickford. Mais contrairement à Mary, Bessie n’entend pas jouer les petites filles jusqu’à 30 ans passés. Elle n’a plus envie d’incarner des personnages qui s’appelles « Gaufrette »
Sans doute habituée aux volte-faces de l’histoire, Bessie Love a-elle compris que ces rôles de petites filles sexuées seront dans quelques mois tombés en désuétude complète. Alors elle se sophistique, se glamourise, elle apprend la danse, le chant. C’est elle qui lance le Charleston!
Elle incarnera des vamp, des toxicomanes et des chinoises, des serveuses et même Bessie Love en personne! L’essentiel est de surprendre, étonner, se renouveler, convaincre. Cette fois elle devance l’époque où les stars se doivent de rester figées dans le personnage qui a fait leur gloire.
Et cette fois encore, Bessie va être emportée dans un véritable tourbillon dont elle ignore encore tout et qu’elle pourrait avoir provoqué elle-même tant les choses s’enchaînèrent, tels les rouages d’une mécanique céleste.
Pour se diversifier et bien que le cinéma soit muet, Bessie s’était mise à apprendre le chant et la danse. Elle restera longtemps célèbre pour avoir été la première à danser le charleston à l’écran. Ce qui incita Joan Crawford à être la première à danser le shimmy. Alors certes, Hollywood n’avait pas hésité à produire des comédies musicales muettes! Mais il se trouve que le cinéma…Parla! Et laissa coites toutes les stars les plus en vue. Car si quelques une se vantaient de pouvoir se trémousser en rythme comme l’incontournable Joan Crawford ou la plus inattendue Mae Murray, Les autres étaient il faut bien le dire raides comme des piquets avec un vilebrequin coincé dans la gorge.
Le temps qu’Hollywood dévergonde le tout Broadway, Bessie dont l’étoile déclinait fut celle qui « sauva la mise » et fut propulsée au firmament des stars dansantes et chantantes. Alors même que Bessie songeait à faire de sérieuses économies et réduire son train de vie, le son passa sur sa carrière comme un ouragan bienfaiteur!
La MGM la prit sous contrat et dès 1929 elle était nommée aux Oscars pour « Broadway Mélodies » alors que six mois plus tôt on n’aurait plus parié dix dollars sur elle! Son salaire relativement modeste en décembre 1928 aura atteint des sommes folles six mois plus tard! Elle gagne à la MGM l’équivalent mensuel de 45.000$ actuels!
Aucune star masculine du studio n’en a autant.
C’est le moment que choisit Bessie pour se marier le 27 décembre 1929 avec son agent William Hawks, sans doute lui devait-elle bien ça. Le tout MGM, Greta Garbo excepté se pressa à son mariage et la first lady du studio, Norma Shearer en personne acceptera comme un honneur d’être parmi ses demoiselles d’honneur.
En 1932 le couple aura une fille, Patricia. Ils divorceront en 1936.
Et d’ici là, tout aura encore changé dans la vie de Bessie.
Tout fulgurant qu’il soit, son succès dans les comédies musicales ne dure pas. Au sommet en 1929 elle déclare en 1931: Cette fois-ci c’est la fin, le public ne veut décidément plus de moi! »
Sa carrière en capilotade, son mariage qui prend l’eau, boudée par le public et les studios, Bessie ne souhaite pas jouer les « has been » à Hollywood. On aime trop y brûler ce que l’on a adoré.
Alors Bessie vend tout ce qu’elle possède, prend sa petite fille sous le bras et s’embarque pour l’Europe. Elle choisit de se fixer à Londres et y vivre une retraite paisible.
Mais comme d’habitude, son facétieux destin veille.
La guerre tout d’abord va bouleverser sa paisible installation et ravager Londres. Bessie travaillera pour la croix rouge américaine durant le conflit.
La guerre étant passée par là avec son lot de drames, Bessie se retrouva, la paix revenue sur les ruines encore fumantes de la capitale britannique, dans l’obligation de travailler.
Elle accepta de petits rôles au théâtre qui n’allaient pas cesser de croître puis allait se retrouver sur les tournages d’à peu près tous les films américains qui se tournaient en Europe. La télévision anglaise, enfin, allait faire d’elle une de ses favorites.
Bessie Love qui avait vu Hollywood sortir de terre et le son des écrans, Bessie Love qui avait songé à la retraite à la fin des années 20 tournera jusqu’en 1983! Soit un bon demi siècle de plus! La petite admiratrice de Tom Mix se retrouvera face à David Bowie!
Bessie Love s’est éteinte à Londres le 2 avril 1986. Bien que sa santé ait décliné durant ses derniers mois, elle s’est éteinte tout doucement, à la dernière page du livre que fut sa vie.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1915: Georgia Pearce: Avec Constance Talmadge
1916: The Heiress at Coffee Dan’s: Avec Frank Bennett
1916: The Flying Torpédo: Avec John Émersion et Erich von Stroheim
1916: Intolerance: Love’s Struggle Throughout the Ages: Avec George Walsh
1916: A Sister of Six: Avec Ben Lewis
1917: Cheerful Givers: Avec Kenneth Harlan
1917: Polly Ann: Avec JP Lockney
1919: Carolyn of the Corners: Avec Charles Elder
1919: The Little Boss: Avec Wallace MacDonald
1921: The Spirit of the Lake: Court métrage avec Tom Santschi
1922: The Wampas baby Stars of 1922: Court métrage avec Lila Lee
1923: Mary of the Movies: Avec Marion Mack (Bessie fait une apparition en tant qu’elle-même)
1923: Slave of Desire: Avec George Walsh
1923: St. Elmo: Avec Barbara Lamarr et John Gilbert
1924: Sundown: Avec Roy Stewart
1926: Going Crooked: Avec Oscar Shaw
1928: The Matinee Idol: Avec Johnnie Walker
1929: The Hollywood Revue of 1929: Avec John Gilbert et Conrad Nagel
1929: The Broadway Melody: Avec Anita Page
1929: The Idle Rich: Avec Leila Hyams et Conrad Nagel
1951: No Highway: Avec Marlène Dietrich et James Stewart
1954: The Barefoot Contessa: Avec Ava Gardner
1954: Beau Brummell : Avec Elizabeth Taylor et Stewart Granger
1957: The story of Esther Costello: Avec Joan Crawford et Heather Sears
1958: Next to No: Avec Betsy Drake et Kenneth Moore
1961: The Roman Spring of Mrs. Stone: Avec Vivien Leigh et Warren Beatty
1966: Promise Her Anything: Avec Leslie Caron et Warren Beatty
1967: Battle Beneath the Earth: Avec Viviane Ventura et Kevin Mathews
1968: Isadora: Avec Vanessa Redgrave
1969: On Her Majesty’s Secret Service : Avec Sean Connery
1974: Vampyres: Avec Marianne Morris
1981: Lady Chatterley’s Lover: Avec Sylvia Kristel et James Fox
1981: Reds: Avec Diane Keaton et Warren Beatty
1981: Ragtime: Avec James Cagney
1983: The Hunger: Avec Catherine Deneuve et David Bowie