Anna Lee est peut-être un cas unique dans l’histoire du cinéma. Avec une carrière filmée exceptionnellement longue, 71 ans, elle a mené en parallèle un parcours de grande dame jamais prise en défaut. Bien sûr il y a d’autres « grandes dames » du cinéma, encore heureux qu’Anna Lee ne soit pas la seule. Mais sa vie privée de sa naissance à sa fin sera d’une grande suavité. Sans aucun écart. Aucun scandale, aucune erreur de parcours. Pas de films polissons ou de calendrier léger resurgi du passé. Pas de conduite en état d’ivresse. Pas d’imbroglio sentimental pour colonnes de potins mondains où elle ne paraît d’ailleurs jamais. Je ne suis même pas sûre qu’elle se soit faite un jour remarquer par une robe à la coupe trop audacieuse, à l’imprimé trop voyant ou par une déclaration risquée à propos de qui ou de quoi que ce soit.
Le 2 janvier 1913, Joan Boniface Winnifrith vient au monde dans sa bonne ville d’Ightham dans le Kent et commence dès son baptême sa carrière d’élégante mondaine. Son parrain est le très célèbre Conan Doyle.
Son père est le recteur très respecté de sa paroisse. Elle a un frère, John qui deviendra secrétaire permanent du ministère de l’agriculture et finira par être anobli par sa gracieuse majesté. Anna qui n’eut rien à raconter de sa vie de jeune fille de très bonne famille sera formée aux arts de la scène au très prestigieux royal Albert Hall de Londres.
Elle fera ses premiers pas au cinéma en 1932. Elle a 19 ans, elle est ravissante de grâce et de maintient. Elle n’est qu’à peine figurante mais de film en film elle va se faire plus présente. Elle passe aux seconds rôles et en moins d’un an elle est prise sous contrat par la filiale anglaise de la Paramount qui l’abonne aux rôles de jeunes filles du grand monde, souvent délassées par leur fiancé pour une effrontée quelconque.
Lorsqu’elle se marie en 1934 avec le réalisateur Robert Stevenson elle est déjà une vedette. Ils sont tombés amoureux fous alors qu’il la dirige dans « The Camels Are Coming ». Un film dont les extérieurs propices au romantismes se tournent en Egypte. En 1934 c’est une aventure!
Le couple aura deux filles: Venetia née en 1938 et qui n’est autre que la future actrice Venetia Stevenson et Caroline qui naîtra en Amérique.
Mais en attendant ces deux heureux événements, Anna tourne bien et beaucoup. Parfaitement dirigée par son mari elle forme avec le beau John Loder un couple idéal de cinéma dont le public est fou. La Gainsborough la débauche de chez Paramount pour en faire une de ses stars. Il faut dire que le studio est truffé de brunes spectaculaires comme Jean Kent, Ann Rutherford et Patricia Roc et manque cruellement de blondes. Anna est l’actrice idéale pour pallier à cette carence. Et inversement, la Gainsborough est le studio idéal pour elle puisqu’on s’y spécialise dans le drame historique et mondain!
C’est l’inéluctable affrontement de 39-45 qui va décider Anna. Parce qu’elle a une petite fille, elle choisit de quitter Londres avant que le monde ne s’enflamme et part se réfugier aux USA.
Faut-il dire qu’elle n’a aucun mal à se faire engage par un studio dès son arrivée. Hollywood avait les yeux braquées sur sa distinction « so British » depuis des années. Dès son arrivée elle est immédiatement phagocytée par la Paramount qui la propulse dans « Seven Sinners » entre John Wayne et Marlène Dietrich! C’est dire! Très vite elle devient l’une des actrices fétiches de John Ford qui la vénère. Elle tourne pour Mankiewicz, Sturges, Sirk et tous les grands nom du moment. Elle continuera sa carrière sous l’égide de grands noms dont Henry King, Samuel Fuller, Robert Aldrich et compagnie.
Comme toute anglaise qui se respecte, elle culpabilise de s’être mise en sécurité alors que Londres flambe toutes les nuits sous un tapis de bombes. Elle choisit comme tant d’autres de partir en tournée avec le théâtre aux armées.
C’est au cours de cet aventureux périple qu’elle fait la rencontre de celui qui sera son deuxième mari, le pilote George Stafford. Anna attendra 1944 pour divorcer et se remarier. Son premier mari gardant officiellement la garde de ses deux petites filles. Ce divorce aurait pu faire un scandale, mais les dangers de la guerre ont assoupli les règles strictes de la bienséance conjugale! Ce divorce est un véritable « Gentlemen’s agreement » et puis George Stafford est un héros! Il est ce que l’on appelle alors « un as »!
Remariée, Anna Lee reprendra sa carrière d’après guerre à peu près là où elle l’avait laissée. Elle avait eu l’intelligence (ou la chance) de miser dès les années 30 sur quelques films d’épouvante bien tournées qui avaient fait d’énormes succès et la gloire éternelle de Boris Karloff . Et aussi de quelques films d’aventures qui restaient plaisants à voir des années plus tard. Elle y était magnifiquement dirigée et mise en valeur par son mari. Et à Hollywood, lorsque vos films ont fait vraiment beaucoup d’argent, on vous aime et on vous engage. Anna est de celles qui ne manquent pas de travail et elle pourrait commencer un film le lundi si elle en a terminé un le vendredi précédent.
Evidemment, comme on sort un film par jour à l’époque, elle ne peut pas tourner que d’inoubliables chefs d’œuvres ou des cartons de box office. Alors elle choisit semble-il ses rôles en fonction de l’image qu’ils vont véhiculer d’elle. Elle a sa « formula » comme Joan Crawford, Eve Arden ou Glenda Farrell.
Anna Lee est toujours riche sans être vénale ni ostentatoire, elle tient son argent de manière digne et honnête. Elle n’a pas le sempiternel passé louche d’une Rita Hayworth! Bien habillée sans tapage, elle travers les intrigues diverses en restant digne mais l’esprit ouvert, payant parfois de sa personne mais sans se compromettre ni sombrer dans la débauche. Et si à la fin son grand amour file avec une incendiaire des rues basses, elle prend la chose avec dignité, lui souhaite beaucoup de bonheur et puis à la créature aussi et s’en va soigner son vieux père cacochyme et distingué dans le Connecticut!
Le couple Stafford qui s’était marié le 8 juin 1944 aura trois fils: John, Stephen et Tim. Comme sa demi soeur Venetia, Tim deviendra acteur sous le nom de Jeffrey Byron.
Anna Lee est devenue américaine en 1945 et restera mariée à son as de l’aviation durant vingt ans.
Avec cinq enfants qui grandissent, Anna est forcément moins présente au cinéma mais se consacre volontiers à la télévision dès 1950.
Les années passant, elle va laisser le haut de l’affiche à d’autres mais continuera une très intéressante carrière. C’est elle la voisine curieuse des soeurs Crawford-Davis dans « Qu’est-il arrivé à Baby Jane? » C’est elle la religieuse résistante qui aide la famille von Trapp dans « La mélodie du Bonheur »
Divorcée en 1964, elle se remariera une ultime fois en 1970. Son nouvel élu est le romancier Robert Nathan rencontré à Hollywood alors qu’il travaille à l’adaptation de ses propres romans pour le cinéma.
Elle sera sa veuve en 1985.
Anna Lee restera à Hollywood. Elle fait partie de sa légende mais aussi de son présent puisqu’elle tournera jusqu’en 2003!
Elle s’éteindra de sa belle mort l’année suivante, le 14 mai 2004 et nombreux furent ceux qui accusèrent la production de son dernier feuilleton d’avoir hâté sa mort en abandonnant son personnage.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1932: Ebb Tide : Avec Joan Barry
1933: Mannequin: Avec Judy Kelly
1934: Rolling in Money: Avec Isabel Jeans et John Loder
1934: The Camels Are Coming: Avec Jack Hulbert
1936: The Man Who Changed His Mind: Avec Boris Karloff et John Loder
1937: King Solomon’s Mines: Avec Paul Robeson, John Loder et Roland Young
1937: Non-Stop New York: Avec John Loder
1939: Young Man’s Fancy: Avec Griffith Jones
1940: Return to Yesterday: Avec Clive Brook
1940: Seven Sinners: Avec Marlène Dietrich et John Wayne
1941: How Green Was My Valley: Avec Maureen O’Hara et Walter Pidgeon
1942: The Commando Strike at Dawn: Avec Paul Muni
1943: Obsessions: Avec Edward G.Robinson
1944: Summer Storm: Avec Linda Darnell
1946: Bedlam: Avec Boris Karloff
1946: G.I. War Brides: Avec James Ellison
1947: The Ghost and Mrs. Muir: Avec Gene Tierney et Rex Harrison
1947: High Conquest: Avec Gilbert Roland
1948: Best Man Wins: Avec Edgar Buchanan
1948: Fort Apache: Avec Shirley Temple, Henri Fonda et John Wayne
1949: Prison Warden: Avec Warner Baxter
1958: Gideon’s Day : Avec Jack Hawkins
1959: This Earth Is Mine: Avec Jean Simmons et Rock Hudson
1959: The Crimson Kimono: Avec Victoria Shaw
1960: The Big Night : Avec Venetia Stevenson
1962: Jack the Giant Killer: Avec Judi Meredith
1962: The Man Who Shot Liberty Valance: Avec Vera Miles, John Wayne et James Stewart
1962: What Ever Happened to Baby Jane?: Avec Bette Davis
1962: Mutiny on the Bounty: Avec Marlon Brando
1963: The Prize: Avec Elke Sommers et Paul Newman
1964: The Unsinkable Molly Brown: Avec Debbie Reynolds
1965: The Sound of Music: Avec Julie Andrews
1966:7 Women: Avec Anne Bancroft
1966: Picture Mommy Dead: Avec Martha Hyer et Don Ameche
1967: In Like Flint: Avec Jean Hale et James Coburn
1968: Star! Avec Julie Andrews
1978: Legend of the Northwest: Avec Marshall Reed
1994: What Can I Do?: Avec Sam Alejan