Il y a des lustres que je me disais que la vie, le parcours et la carrière d’Ann Dvorak méritaient certainement une biographie qui ne manquerait pas d’être passionnante même si le nom de l’actrice s’efface chaque jour un peu plus des mémoires.
Je n’ai donc plus qu’à me réjouir de la parution de l’ouvrage « Ann Dvorak, Hollywood’s Forgotten Rebel »
Un titre qui m’a semblé aller de soi mais en y réfléchissant, Ann Dvorak fut -elle tellement rebelle?
Le 2 Août 1911, vient au monde à New-York la petite Anna MacKim. Fille du cinéaste Edwin MacKim et de son épouse la vedette Anne Lehr.
Cela peut sembler idyllique pour une enfant de grandir avec des parents partageant l’amour du même métier, à fortiori quand ce sont des artistes.
Et ceci vaut d’autant plus lorsque l’enfant en question se révèle très tôt fascinée par ledit métier.
C’est presque tout naturellement que la petite Anna fera ses débuts dès l’âge de quatre ans en jouant le rôle de Ramona enfant dans le film éponyme. Elle sera créditée au générique comme « Baby Anna Lehr »
Si elle est créditée comme étant Baby Lehr et non comme baby MacKim c’est qu’à l’heure de ces débuts juvéniles, ses parents sont déjà séparés. En 1920 ils sont divorcés et madame Lehr prend sa fille sous le bras et quitte New-York pour Hollywood puisqu’il paraît que c’est là que tout se passe désormais!
La vérité étant que madame Lehr n’a objectivement jamais trouvé le succès espéré mais a dépensé autant sinon plus que Lillian Russell en personne! En fait de se rapprocher d’Hollywood elle s’éloigne de ses créanciers qui la menacent de poursuites! Menaces qu’ils mettront d’ailleurs à exécution malgré la distance qui les sépare maintenant de l’objet du litige!
Malgré son jeune âge, elle fut mère à 21 ans, Anna Lehr est une femme assez crâne et qui sait ce qu’elle veut!
En 1916 elle avait accepté un rôle dont personne ne voulait parce qu’une horde de chevaux devait se précipiter vers l’actrice supposée évanouie sur leur passage. Son courage forçant l’admiration, elle lança sur un ton de dédain: « Ce n’est pas dans la nature des chevaux de marcher sur les gens! » Puis elle ajouta pour les plus incrédules « A moins d’un accident, bien sûr! »
Mais ça, c’était en 1916. En 1920 elle sait toujours ce qu’elle veut et ce qu’elle veut c’est ne plus jamais entendre parler de son ex mari! jusqu’à la fin de sa vie elle refusera d’encore prononcer son nom ou d’aborder le sujet avec qui que ce soit. Et ceci vaut aussi pour sa fille qui n’aura plus jamais aucune nouvelle de son père! Elle devra lancer un avis de recherche par voie de presse en 1934 pour enfin le retrouver. L’anecdote fit les délices des journalistes et ne suscita qu’un souverain mépris chez sa mère!
Ann avec Hedy Lamarr et Anne Baxter
Personne à Hollywood n’ayant besoin des services de miss Lehr et de sa fille, Anne mit le cinéma au rayon des jolis souvenirs d’enfance et se consacra à la danse avec un tel enthousiasme que d’élève elle devint professeur. Mais au début des années 30 à Hollywood c’est le règne de la comédie musicale et tout qui sait d’agiter en rythme, chantonner juste ou jouer d’un crin-crin quelconque est aussitôt pris sous contrat par un studio. Pour Anne ce sera le plus prestigieux de tous: la Metro Goldwyn Mayer.
Elle va se retrouver précipitée dans une collection de comédies musicales dont la simple liste donnerait le tournis à une toupie!
Et comme à Hollywood on a pour vice de calquer les nouvelles venues sur les anciennes, on décréta qu’Ann Dvorak serait une Joan Crawford! Sans doute une évolution normale des choses puisque Joan avait débuté à la MGM comme une nouvelle Norma Shearer!
Ann aura plusieurs fois l’occasion de se faire admirer dans les films de Joan comme on avait autrefois distribué cette dernière dans les films de Norma!
Mais quand je dis « admirer » c’est peut-être un très grand mot! A ce titre, « This Modern Age » est un bel exemple du sort réservé à Ann Dvorak par la MGM.
Après avoir exécuté un très ennuyeux tango argentin avec Neil Hamilton, Joan Crawford papote avec ce dernier dans un élégant salon au coin du feu. L’heure est tendre, l’heure est aux confidences. Lorsque soudain, comme soufflée de la pièce voisine par une explosion, surgit une femme en longue robe de satin sombre. Elle fait une sorte pirouette au milieu de la pièce et repart comme elle était venue. L’air extatique et les bras en l’air comme si elle était la Pavlova ovationnée à l’opéra de Paris. Son passage est si rapide que Joan Crawford et Neil Hamilton ne l’ont même pas vue!
C’est Ann Dvorak dans le rôle de la pirouetteuse fugace!
Les dirigeants de la MGM sont semble-il les derniers à se rendre compte du potentiel d’Ann Dvorak!
C’est son amie Karen Morley nettement mieux traitée par le studio qui va prendre les choses en mains et plaider la cause d’Ann Dvorak auprès d’Howard Hugues pour qu’il s’occupe de la carrière de son amie. Joan Crawford ne va pas hésiter à lui prêter main forte. Un appui bien venu même s’il est bien certain que l’amitié n’a joué qu’un rôle secondaire dans la démarche de Joan. Se débarrasser de la « nouvelle Crawford » dans un autre studio, c’était de bonne guerre! Quant au fieffé Howard, ravi d’obliger ses belles amies mais n’ayant que faire d’Ann, il va refourguer son contrat à la Warner contre la coquette somme de 40.000$! C’est cher mais chez Warner on toujours rêvé d’avoir une Joan Crawford!
Et comme quoi, Howard Hugues prouva que l’on peut être obligeant envers les dames en restant avisé et faire de très bonnes affaires!
La Warner peu habituée à de telles folies budgétaires va mettre son investissement à profit! Ann va tourner sans relâche pour le studio! Mais attention! Que du premier rôle! Plus question de pirouetter sur les moquettes indifférentes!
Et parce que Bette Davis, c’est l’usage, rechigne bien un peu comme elle le fait pour chaque nouvelle recrue, la Warner fait des deux femmes des partenaires à l’écran! Que Bette Davis ait été ainsi bravée par la direction qu’habituellement elle tétanise montre assez à quel point la Warner misait sur Ann Dvorak!
Tout est donc pour le mieux. D’autant que la « recrue » se révèle un placement de premier ordre! Très belle, allurale, distinguée, après tout elle est « formée » à la MGM. Elle sait, on l’a vu, parfaitement danser mais elle sait aussi être hilarante ou terriblement dramatique. Bref elle sait tout faire et menace de prendre place parmi les plus grandes actrices que la terre ait porté. Elle est si terriblement sensationnelle qu’elle fait du moindre navet poussif un petit chef d’œuvre de spiritualité et accessoirement un honorable succès que l’on aurait pas osé espérer avec une actrice plus chère! C’st elle qui aura la lourde tâche de succéder à Arletty dans « The Long Night », remake américain du « Jour se lève » de Carné où hélas Henri Fonda ne parviendra pas à surpasser le souvenir de Gabin
Malheureusement pour la Warner, un grain de sable inattendu va venir gripper la belle mécanique.
Le grain de sable ayant pour nom Leslie Fenton que le studio a sottement donné comme partenaire à Ann dans « The Strange Love of Molly Louvain » Cette histoire d’amour ne serait qu’un moindre mal si Leslie Fenton était lui aussi un acteur corvéable à merci. Seulement voilà! Il considère Hollywood comme sa tirelire personnelle et les directeurs de studio, ceux de la Warner en particulier comme de vulgaires marchands de soupe sans culture ni intérêt!
Dès leur rencontre il va expliquer à Ann qu’elle est exploitée sans vergogne par le studio, ce qu’elle ne veut pas entendre…Jusqu’à ce qu’elle découvre le plus fortuitement du monde qu’elle est payée comme un petit garçon qui vient de jouer le rôle de son fils dans un film! Un petit garçon parfaitement inconnu et sans expérience alors qu’elle trône au sommet des affiches et dans les plus gros succès commerciaux du studio! Folle de rage, elle n’attend pas le feu vert du studio pour se marier et partir en voyage de noces autour du monde! Et parce que la Warner mène grand tapage, Ann Dvorak leur fait un retentissant procès pour avoir été scandaleusement exploitée et sous payée!
A Hollywood on fulmine! Qu’elle perde ou gagne son procès, Ann Dvorak crée un dangereux précédent! Bette Davis et Olivia de Havilland vont en effet lui emboîter le pas. Toutes les deux contre la Warner! Et si Bette perd son procès, Olivia le gagne! « Normal, ce sont des marchands d’esclaves! » comment Ann Dvorak depuis le yacht conjugal!
Le choc est d’autant plus rude que la Warner n’est pas le studio pratiquant les salaires les plus bas! La palme revenant à la MGM!
Ann va parcourir le monde avec son mari fou de voyages et finira par partager sa passion pour les horizons lointains ou la culture du vieux continent. Et parce qu’après un an de lune de miel autour du monde la Warner n’a pas décoléré, ils joueront ensemble à Broadway! Malheureusement, entre le départ et le retour, l’opinion publique aura radicalement changé à propos d’Ann Dvorak. On s’était régalé dans les chaumières de cette star abandonnant Hollywood pour un grand amour et partant naviguer sur les plus romanesques mers du monde avec son tendrement aimé!
Mais lorsque la romanesque fugitive se lamente dans les gazettes du traitement que lui inflige la Warner en la payant quelques 250 minables dollars par semaine, dans une Amérique en pleine crise où les chômeurs sont jetés par millions dans les files d’attente des soupes populaires, leurs familles séparées, éparpillées sur les routes, la donne change. Quand on n’a pas 20 cents pour nourrir un nouveau né famélique on est peu enclin à compatir aux déboires d’une pauvresse qui n’a pas assez de 250$ par semaine! Des familles entières n’en ont pas 3 par mois! Ann la tant aimée va devenir en quelques jours une des femmes les plus détestées d’Amérique. Ce qu’elle a quand même bien cherché! Ann Dvorak perdra son procès mais reviendra malgré tout à la Warner. le studio n’allait pas faire une croix sur un investissement de 40.000$!
Mais si Bette Davis trouva de meilleurs rôles chez Warner malgré son procès, le studio ne misa plus sur Ann Dvorak! Le studio renonça à faire une star d’une ingrate aussi coûteuse et on se contenta de la faire besogner sans relâche! Le comble étant qu’elle trouvera malgré tout matière à quelques triomphes!
Et puis il y aura la guerre. Et Leslie Fenton est anglais. Dès les premières heures du conflit il regagnera son pays pour y faire son devoir. Son épouse le suivra sans la moindre hésitation, n’était-elle pas une épouse britannique? Ann Dvorak tournera trois films en Angleterre durant la guerre mais elle fera surtout son devoir de patriote! Engagée aux armée, elle ne se produira pas sur scène mais conduira des ambulances et travaillera à la radio!
La guerre terminée, le couple Fenton sera saint et sauf mais ce ne sera pas le cas de leur mariage. Ils divorceront en 1946 après 13 ans de vie commune. » Un dommage de guerre » sera le seul commentaire laconique d’Ann Dvorak à propos de son divorce.
Elle rentrera à Hollywood, refera des films mais sans avoir signé avec aucun studio. Elle est mortifiée d’apprendre à son retour la mort de son père alors qu’elle était en Angleterre.Pour Ann Dvorak, décidément une page se tourne. Une page avec pas mal de ratures et beaucoup de gâchis. Alors qu’elle pouvait prétendre, au moins, à une carrière digne de celle de Katharine Hepburn ou Bette Davis, Ann Dvorak se retire en 1951, elle n’a que 40 ans. Elle venait de retrouver les plateaux de la MGM et la direction de Cukor pour « A life of her Own » dont la vedette n’est autre que Lana Turner. Ann y incarne un mannequin sur le retour, suicidaire, alcoolique et hystérique.
En 1947 elle s’était remariée avec un danseur russe, Igor Dega mais ce mariage allait durer à peine deux ans.
En 1951, à l’heure de sa retraite, elle devient madame Nicolas Wade et se fond dans l’anonymat. En 1959, le couple s’installe à demeure à Honolulu sur la plage de Waikiki, là où l’avait autrefois emmenée son premier mari. Elle avait gardé cher à son cœur le souvenir à la fois du lieu et du monsieur.
Le 22 Janvier 1974, sa mère décède en Californie où elle s’était fixée définitivement.
Le 10 Décembre 1979, Ann Dvorak la rejoint dans la mort, emportée par le cancer de l’estomac. Elle n’avait que 68 ans et son mari l’avait laissée veuve en 1975.
Alors Ann Dvorak fut-elle réellement l’indomptable rebelle que l’on veut bien faire d’elle aujourd’hui?
Si l’on considère que:
Elle a fait ses débuts dans la carrière d’actrice par décision parentale
Qu’elle n’a pas affronté sa mère pour obtenir au moins des nouvelles de son père ignorant s’il était mort ou vif durant plus de dix ans.
Qu’elle a accepté de se faire dépersonnaliser par la MGM pour faire d’elle une Crawford low cost
Qu’elle a accepté tous les rôles insignifiants que le studio lui a infligés
Qu’elle a laissé Karen Morley et Joan Crawford négocier à sa place avec Howard Hugues
Qu’elle a accepté de laisser négocier son contrat par des tiers qui l’ont tirée d’un studio très prestigieux pour celui bien moins réputé de la Warner.
Qu’elle y a tourné tout ce qu’on lui a demandé
Que c’est sous la tutelle de son mari qu’elle a désobéi à son studio et qu’elle s’est lancée dans un procès que l’on considère aujourd’hui héroïque mais qui à l’époque a été désastreux
Qu’elle est revenue se soumettre à la Warner malgré le tapage de son départ
Qu’elle est devenue une héroïne de guerre non par courage mais par amour.
Qu’elle n’a guère lutté pour préserver sa carrière préférant se retirer dans l’île des amours perdues pour y vivre de souvenirs enfuis.
J’ai l’impression qu’en fait de rebelle, Ann Dvorak fut surtout d’une parfaite indolence. Ce qui n’exclut pas la magie de son talent et l’intérêt qu’il y aurait aujourd’hui à redécouvrir ses films toutes affaires cessantes.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1916: Ramona: Avec Donald Crisp
1917: The Man Hater: Avec Winifred Allen
1929: The Hollywood Revue of 1929: Avec Joan Crawford, Norma Shearer et Bessie Love
1930: Chasing Rainbows: Avec Bessie Love et Charles King
1930: Doughboys: Avec Sally Eilers et Buster Keaton
1930: Our Blushing Brides: Avec Joan Crawford et Robert Montgomery
1930: Pirates: Court métrage avec Benny Rubin
1930: The March of Time: Avec Betty Brown et Bing Crosby
1931: This Modern Age: Avec Joan Crawford
1931: Dance, Fools, Dance: Avec Joan Crawford et Clark Gable
1931: Just a Gigolo: Avec Irène Purcell et William Haines
1932: Scarface: Avec Paul Muni et James Cagney
1932: The Strange Love of Molly Louvain: Avec Leslie Fenton et Lee Tracy
1932: Three on a Match: Avec Bette Davis et Joan Blondell
1932: Hello, Pop: Court métrage avec Ted Healy
1933: The Way to Love: Avec Maurice Chevalier
1933: Collège Coach: Avec Dick Powell
1934: Murder in the Clouds: Avec Lyle Talbot
1934: Massacre: Avec Richard Barthelmess
1934: Midnight Alibi: Avec Richard Barthelmess
1934: Friends of Mr. Sweeney: Avec Charles Ruggles et Dorothy Burgess
1934: Housewife: Avec Bette Davis et George Brent
1935: G Men: Avec James Cagney et Margaret Lindsay
1937: She’s no Lady: Avec John Trent
1938: Merrily We Live: Avec Constance Bennett et Brian Aherne
1938: Gangs of New-York: Avec Alan Baxter et Charles Bickford
1939: Blind Alley: Avec Chester Morris et Ralph Bellamy
1939: Stronger than Desire: Avec Virginia Bruce et Walter Pidgeon
1940: Café Hostess: Avec Preston Foster
1940: Girls of the Road: Avec Bruce Bennett et Lola Lane
1942: This Was Paris: Avec Ben Lyon
1943: Squadron Leader X: Avec Eric Portman
1946: The Bachelor’s Daughters: Avec Gail Russell et Claire Trevor
1947: Out of Blue: Avec George Brent, Carole Landis et Virginia Mayo
1947: The Long Night: Avec Peter Fonda et Barbara Bel Geddes
1948: The Wall of Jericho: Avec Linda Darnell et Anne Baxter
1950: Our Very Own: Avec Ann Blyth et Farley Granger
1950: The Return of Jesse James: Avec John Ierland
1950: A Life of Her Own: Avec Lana Turner
1951: I Was an American Spy: Avec Gene Evans
1951: The Secret of Convict Lake: Avec Gene Tierney et Glenn Ford